Avec l’acquisition de marques québécoises par de grands joueurs américains, la concurrence des géants du Web et la montée du numérique, les quincailleries et centres de rénovation canadiens font face à des enjeux importants. En plus de manquer cruellement de main-d’œuvre, ces entreprises, en particulier les PME, doivent prendre le virage numérique et trouver de nouvelles stratégies pour attirer la clientèle. Manuel Champagne, Directeur général de Détail Québec et Richard Darveau, Président et chef de la direction de l’Association québécoise de la quincaillerie et des matériaux de construction (AQMAT) nous ont aidés à faire le point sur la situation.
Quelques chiffres pour commencer…
- Au Québec, on compte environ 600 quincailleries et 300 centres de rénovation, soit un total de 900 détaillants.
- Au Canada, 3500 détaillants se partagent le marché.
- 50 % des clients sont des particuliers, 50 % sont des entrepreneurs en construction.
- Les commerces allant de la très grosse entreprise au commerce de proximité en passant par la PME, la superficie moyenne d’un magasin varie de 1 000 à 120 000 pieds carrés.
Situation globale du secteur
Selon M. Darveau, « le marché est à son plus fort, mais il est ralenti par le manque de main-d’œuvre. Certains commerces ferment par manque d’employés ». De plus, le secteur est en pleine transformation. De gros joueurs américains (notamment Home Depot et Lowe’s Canada qui a racheté les magasins Rona) pénètrent le marché et viennent modifier les pratiques de gestion et de mise en marché. Aussi, les géants du Web rendent la compétition féroce. Entre 10 % et 25 % des articles de matériaux de construction sont vendus en ligne par des entreprises qui n’ont rien à voir avec la rénovation ou la construction comme Amazon, e-Bay, Alibaba, Shopify ou Wayfair. Les PME peinent à faire face à ces gros joueurs.
Un virage numérique tardif
« Les détaillants ont mis un moment avant d’embarquer pleinement dans l’aventure du commerce électronique, contrairement à d’autres secteurs. Certaines entreprises n’ont un site transactionnel que depuis trois ans », précise M. Champagne. Pour celles qui ont une structure à cent pour cent corporative comme Home Depot, il a été plus facile de prendre le virage numérique. Mais pour les marchands indépendants ou les affiliés, cela est plus complexe, car leur vision stratégique n’est pas uniforme. Par ailleurs, la nature même des produits a joué un rôle majeur dans ce retard. Les articles sont en effet sont souvent lourds et demandent une logistique complexe.
De nouvelles stratégies à mettre en place
Heureusement, il existe des solutions. Manuel Champagne et Richard Darveau soulignent tous deux que la première consiste à miser sur l’expérience client qui doit être excellente avant, pendant et l’après l’achat. Certaines entreprises québécoises ou canadiennes implantées depuis des années (Canac, Patrick Morin, BMR) le font déjà très bien, une superficie plus petite ayant l’avantage de créer une proximité avec le client. Pour Richard Darveau, « il faut essayer de retirer la distance qui existe entre un achat virtuel et un achat en magasin en combinant les deux pour que ce soit un mariage gagnant pour le consommateur ». Par exemple, depuis deux ans, le Groupe BMR a implanté La Shop BMR, un concept qui permet aux clients d’acheter des produits en ligne puis d’aller les chercher en magasin même après les heures d’ouverture, grâce à des casiers qui servent de dépôt. Manuel Champagne ajoute que, comme Decathlon dans le secteur des articles de sport, les centres de rénovation pourraient aussi proposer aux clients d’essayer les produits sur place.
Une autre solution serait aussi de mieux former les conseillers-vendeurs. « Lorsqu’un client se rend dans une quincaillerie ou un centre de rénovation, il s’attend à recevoir de bons conseils pour réaliser ses projets », estime M. Darveau. Les entreprises doivent donc investir dans la formation en continu de leur personnel. D’autres pistes pourraient aussi être exploitées telles que celle d’offrir en magasin des ateliers sur toutes sortes de sujets (électricité, plomberie, céramique, etc.) permettant à la clientèle de réaliser ses projets.
Employés recherchés
Malgré les nombreux enjeux d’aujourd’hui, le secteur offre d’excellentes perspectives de carrière, la main-d’œuvre manquant cruellement à tous les niveaux. « On peut parler de rareté de main-d’œuvre pour les commis, les conseillers-vendeurs, les préposés et les manutentionnaires. D’autres métiers comme les livreurs et les caristes sont quant à eux en pénurie. Et plus on s’éloigne des grands centres urbains, plus la situation est difficile », précise Manuel Champagne.
Le secteur offre par ailleurs la possibilité de monter rapidement les échelons et de passer en quelques années du statut de commis à un poste de direction. « La plupart des PME fonctionnent comme des familles ; il y règne un bon climat de confiance. Aussi, comme un employé est amené à travailler dans plusieurs rayons, il se forme au fur et à mesure sur les produits et les techniques de rénovation. En plus de rendre service aux clients, il emmagasine tout un savoir-faire qu’il pourra appliquer chez lui! », conclut M. Champagne.