Depuis quelques années, le commerce de détail manque cruellement de personnel. Au 30 juin 2019, on comptait 16 480 postes vacants au Québec et 64 395 au Canada. Sur les 17 secteurs que regroupe l’organisme Détail Québec, tous connaissent une rareté ou, pire, une pénurie de main-d’œuvre. Cette situation est-elle alarmante? Existe-t-il des solutions? Pour nous en parler, nous nous sommes entretenus avec Manuel Champagne, Directeur général de Détail Québec, Comité sectoriel de main-d’œuvre du commerce de détail.
Dans quels secteurs les besoins sont-ils criants?
Les 17 secteurs qui composent le commerce de détail connaissent tous, sans exception, des problèmes de main-d’œuvre. Dans certains cas, on parle de pénurie, dans d’autres, de rareté de la main-d’œuvre. Le secteur le plus préoccupant est celui de la pharmacie. On y manque cruellement de pharmaciens et d’assistants techniques en pharmacie. Dans l’ensemble du secteur, les postes de conseillers-vendeurs (qui représentent à eux seuls 38 % des postes vacants), de directeurs et superviseurs de magasin ainsi que d’étalagistes sont les plus recherchés. Bien entendu, le secteur du vêtement rencontre aussi des enjeux. Le personnel devant ressembler à la clientèle cible, on y recrute beaucoup de jeunes. Or, ceux-ci se font de plus en plus en rare.
Quelles sont les raisons de cette pénurie?
Il y en a trois principales :
- Le vieillissement de la population : le secteur du détail cible les jeunes de 16 à 24 ans pour les postes de vente. Or aujourd’hui, on compte moins de jeunes qu’il y a quatre ans. Et la situation risque de s’empirer, puisque le nombre de retraités augmente et que la population active est en baisse.
- La forte compétition entre les divers secteurs de la vente au détail, mais aussi entre industries, entraîne une inflation des salaires. Pour attirer les meilleurs candidats, les entreprises doivent offrir un salaire alléchant. Or, l’industrie du détail a du mal à compétitionner sur la question salariale. Les PME n’ont pas les moyens de proposer des salaires élevés. De plus, le virage numérique favorise les géants du web comme Amazon ou Walmart qui possèdent des services en ligne sophistiqués. Cela affaiblit encore plus les PME, année après année.
- Enfin, il existe aussi une raison sociologique : la hausse de l’entrepreneuriat. De plus en plus de personnes quittent leur poste de salarié pour s’installer à leur compte. C’est une tendance très forte chez les milléniaux. Les entreprises doivent donc s’adapter. Par exemple, Decathlon mise désormais sur une structure qui favorise l’entrepreneuriat afin que les jeunes y fassent carrière.
L’embauche des semi-retraités fait-elle partie de la solution?
Oui, les semi-retraités sont ce qu’on appelle des travailleurs expérimentés. Certains souhaitent entreprendre une deuxième ou une troisième carrière, ce qui peut constituer une solution au recrutement. Le secteur de la rénovation et de la quincaillerie l’a bien compris, puisque cela fait quinze ans qu’il a recours à ce type de main-d’œuvre. Dans tous les secteurs, on fait aussi de plus en plus d’efforts pour aller chercher d’autres travailleurs expérimentés tels que les personnes immigrantes, les personnes handicapées, les personnes judiciarisées et les Autochtones. Cette main-d’œuvre n’a pas besoin d’être experte : les entreprises les forment généralement sur mesure.
Avec le départ à la retraite massif des prochaines années, comment envisagez-vous le futur?
La situation va s’alourdir. Mais il existe des solutions. Tout d’abord, les entreprises doivent développer leur marque-employeur en mettant en avant les bénéfices qu’elles peuvent offrir aux employés. Si le recrutement est bien fait, le taux de roulement sera moins important. Détail Québec met d’ailleurs à la disposition des entreprises un Guide de ressources humaines en ligne afin de les aider à implanter une stratégie de recrutement et d’intégration efficace. Ensuite, certaines entreprises prennent le virage numérique. Elles ont moins de succursales, mais un meilleur site transactionnel. Elles font donc plus de ventes avec moins d’employés. Enfin, plusieurs compagnies intègrent les technologies numériques au sein de leurs magasins. Pensons au restaurant McDonald qui, depuis deux ans, offre des bornes pour commander. À l’avenir, celles-ci seront de plus en plus populaires, de même que les robots qui sont déjà présents aux États-Unis et parcourent les rayons afin d’aider les clients. Ces nouvelles technologies pallient le manque de main-d’œuvre, mais font aussi naître de nouveaux corps de métiers liés à la maintenance et au bon fonctionnement des machines.
Que diriez-vous à un jeune qui cherche un emploi dans le secteur du commerce du détail?
Malgré tout ce qu’on peut entendre, le commerce de détail est en pleine croissance, au Québec, mais aussi partout au Canada. Il offre de belles carrières et une ascension professionnelle très rapide à tous ceux qui sont passionnés par le service à la clientèle. Même sans formation, vous pouvez y gravir les échelons beaucoup plus rapidement que dans d’autres domaines et passer en quatre ans d’un poste de vente à un poste de supervision ou de gestion. Avec l’introduction des nouvelles technologies, de nombreux emplois liés à la logistique font leur apparition. Bref, les défis sont très stimulants, même dans les petites entreprises qui peuvent se démarquer par une très bonne expérience client.